La Cour de cassation a rendu un arrêt surprenant le 19 octobre 2023 (n° 21-10.366). Elle a jugé que les bénéfices d’une SEL, au sein de laquelle un travailleur indépendant exerce son activité professionnelle, constituent le produit de son activité. De ce fait, les bénéfices réalisés doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales du professionnel, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à une SPFPL, détenant la SEL.
Exentys vous explique le raisonnement de la Cour de cassation et les conséquences de cet arrêt.

 

Quelle est la réglementation sociale applicable sur les dividendes perçus par les travailleurs indépendants ?

Le régime social des dividendes perçus par les travailleurs indépendants non agricoles est prévu à l’article L131-6 du Code de sécurité sociale :

« La part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du même code perçus par le travailleur indépendant non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés et des revenus mentionnés au 4° de l’article 124 du même code qui est supérieure à 10 % du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes. Un décret en Conseil d’Etat précise la nature des apports retenus pour la détermination du capital social au sens du présent 3° ainsi que les modalités de prise en compte des sommes versées en compte courant »

De ce fait, un rendement jusqu’à 10 % des titres des sociétés des travailleurs indépendants est considéré comme une rémunération du patrimoine et sont donc soumis à des prélèvements sociaux.

Au-delà, il s’agit d’une rémunération d’un travail soumise aux cotisations sociales des travailleurs indépendants.

Toutefois, depuis le 1er janvier 2009, une partie des dividendes et intérêts des comptes courants d’associés perçue par les dirigeants et associés d’une société d’exercice libéral (SEL) qui exercent une activité non salariée et relèvent du régime de protection sociale des travailleurs indépendants non agricoles, est soumise aux cotisations sociales. C’est également le cas pour certains dirigeants de sociétés à l’impôt sur les sociétés (IS) dès lors qu’ils relèvent du régime de protection sociale des travailleurs indépendants non agricoles.

 

Quels sont les faits ayant conduit à cette jurisprudence ?

Un chirurgien-dentiste a reçu un appel de cotisations supplémentaires de la part de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (CARCDSF). Celle-ci a intégré dans l’assiette des cotisations d’assurance vieillesse dues, le montant des dividendes versés par la SEL à la société de participations financières de profession libérale (SPFPL). Cette SPFPL était détenue par le chirurgien-dentiste et son épouse.

Le chirurgien-dentiste a alors saisi la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Toutefois, les juges du fonds ont suivi le raisonnement de la CARCDSF. Ils ont retenu que les dividendes revêtaient la nature de revenus d’activités non salariés au sens de l’article L131-6 du Code de la sécurité sociale. Ils devaient donc entrer dans l’assiette des cotisations sociales.

Selon l’arrêt, l’article 108 du Code général des impôts (CGI) auquel renvoie l’article L131-6 visait les revenus distribués par les personnes morales soumises à l’IS et en déduit que dès lors que le chirurgien-dentiste est le seul associé professionnel en exercice au sein de la SELARL, il est également le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes distribués à la SPFPL. De plus, cette société était détenue par le chirurgien-dentiste et son épouse. De ce fait, les dividendes correspondent à une rémunération d’un travail et non à des revenus de patrimoine.

Le chirurgien-dentiste a donc formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

 

Quelle est la solution retenue par la Cour de cassation ?

La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel. Elle a retenu que les bénéfices de la SEL, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerçait son activité, constituaient le produit de son activité professionnelle et devaient entrer dans l’assiette des cotisations sociales, même si ces bénéfices étaient distribués à la SPFPL détenant la SEL.

Elle a fait une application objective de l’article L136-1 du Code de la sécurité sociale. Il s’agit d’un raisonnement in concreto. Elle s’est appuyée sur le fait que le chirurgien-dentiste était le seul professionnel de la SEL et que la SPFPL était détenue par le couple.

 

Comment interpréter cette jurisprudence ?

La Cour de cassation a posé le principe selon lequel la personnalité juridique distincte de la SPFPL n’était pas opposable en matière de cotisations sociales. Ainsi, la totalité du bénéfice distribué par une SEL est à prendre en compte pour déterminer la quote-part des revenus soumise aux cotisations de sécurité sociale.

Cette solution paraît contestable puisqu’elle repose sur une confusion entre les bénéfices de la société et les sommes distribuées. Elle aboutit donc à une soumission des sommes non appréhendées aux cotisations.

On ne sait pas encore si cette position serait identique pour des situations différentes :

  • SEL comptant plusieurs associés exerçants ;
  • extension aux gérants majoritaires de SARL détenant les titres via une holding de droit commun ;
  • SEL nécessitant de lourds investissements ;
  • redistribution par la SPFPL à ses associés.

En effet, la Cour de cassation a une interprétation large. Elle ne parle pas simplement des dividendes distribués aux associés de la SEL, mais des bénéfices de la SEL, dont ceux distribués à la SPFPL.

Ce raisonnement fait donc perdre tout intérêt au recours à la SPFPL. Par ailleurs, il existe un risque de double assujettissement en cas de redistribution par la SPFPL : une fois en tant que bénéfices de la SEL et une deuxième fois lorsque la SPFPL les redistribue.

 

Si vous êtes dans ce cas, vous devez prendre en considération cette nouvelle jurisprudence pour éviter un redressement. Toutefois, de nombreux professionnels espèrent que le Gouvernement se positionnera pour annuler cette jurisprudence. Exentys vous tient au courant des éventuelles évolutions législatives et jurisprudentielles.

 

Published On: décembre 1st, 2023 / Categories: Juridique et réglementaire, Uncategorized /